Sur Kharvaa : Tir à l’arc
27 octobre 2024Les Mongols, sous le commandement du légendaire Chinggis Khan, ont bâti le plus vaste empire terrestre de l’histoire, s’étendant de la mer du Japon à l’est jusqu’au centre de l’Europe, et de la Sibérie au sous-continent indien. Cette expansion exceptionnelle repose en partie sur la maîtrise du tir à l’arc, un art hérité d’une vie rude et nomade dans les steppes. Cette expertise militaire, conjuguée à la force de leurs montures, a permis aux Mongols de dominer une grande partie de l’Eurasie, leur offrant un avantage stratégique décisif.
Le tir à l’arc mongol incarne à la fois une compétence de survie et une tradition culturelle ancrée dans l’identité du peuple mongol. Les enfants étaient initiés dès le plus jeune âge au tir à l’arc et à l’équitation, développant ainsi leur adresse et leur résistance. L’ingéniosité de leurs généraux, associée à la maîtrise du cheval et de l’arc, a fait des Mongols une force redoutable, rendant leurs campagnes pratiquement imparables.
L’Importance du Tir à l’Arc dans la Culture Mongole
Parmi les témoignages les plus emblématiques de cette tradition, l’inscription de la pierre de Chinggis raconte un exploit de tir réalisé par Yesüngke, le neveu de Chinggis Khan et fils de son frère Khasar. Cette inscription unique nous informe qu’en présence de dignitaires mongols rassemblés après la conquête de Sartaul (Turkestan oriental), Yesüngke aurait réussi un tir remarquable, atteignant une cible située à 536 mètres. Cet exploit exceptionnel souligne non seulement l’habileté des archers mongols, mais aussi l’importance culturelle et symbolique du tir à l’arc dans la société mongole. Aujourd’hui, cette pierre est conservée comme un précieux héritage au musée national de l’histoire à Oulan-Bator.
Le Tir à l’Arc Mongol : Une Technique et un Artisanat Précis
Le tir à l’arc mongol repose sur l’utilisation d’un arc composite en bois, tendon et corne. Ce modèle d’arc, l’un des plus avancés de son temps, est conçu pour la puissance et la précision. L’arc mongol se distingue par sa forme compacte, qui le rend efficace pour le tir rapide depuis le dos d’un cheval. Les matériaux employés – du bois, du tendon animal, et de la corne – sont assemblés avec une colle animale, formant une structure résiliente qui peut résister aux rigueurs de la steppe.
La fabrication d’un tel arc demandait du temps et de l’expertise : il fallait souvent une année entière pour que l’arc sèche et se solidifie correctement. Un revêtement en écorce de bouleau, résistant à l’eau, était souvent appliqué pour protéger l’arc de l’humidité. Cette précaution était cruciale, car une exposition excessive à l’eau pouvait endommager la colle animale utilisée pour assembler les éléments de l’arc.
Les Flèches Mongoles : Puissance et Précision
Les flèches mongoles étaient conçues pour délivrer une puissance maximale. Contrairement aux arcs plus légers et aux flèches courtes des archers turcs, les flèches mongoles étaient longues, épaisses et lourdes, mesurant entre 80 et 100 cm, avec un diamètre d’environ 1 cm. Le bouleau, un bois résistant et léger, était le matériau privilégié pour fabriquer ces flèches, assurant une rotation équilibrée et une trajectoire stable en vol. Chaque détail dans la conception des flèches était soigneusement étudié, des plumes stabilisatrices aux pointes forgées pour percer les armures.
L’objectif de l’arc mongol était de libérer une énergie cinétique intense pour atteindre des cibles massives, capables de percer armures et protections adverses. Cette précision et cette puissance ont permis aux Mongols de dominer les champs de bataille, alliant adresse et force brute.
Technique et Tradition : Le Pouce Mongol
La technique de tir mongole repose sur une prise avec le pouce, renforcé par l’index et le majeur. Cette prise, commune dans les cultures d’Asie centrale, permet une libération plus fluide de la corde, minimisant le risque de “pincement” de la flèche. Pour protéger leur pouce, les archers mongols portaient un anneau en métal, élément essentiel qui assurait une prise ferme et permettait un tir plus puissant et précis.
Cette technique est non seulement unique par sa prise, mais elle témoigne aussi de l’ingéniosité des archers mongols, capables de tirer rapidement et avec précision tout en chevauchant à grande vitesse. Elle demande une grande dextérité, car une libération inégale de la corde peut dévier la flèche.
La Tradition du Tir à l’Arc et le Festival de Naadam
Le Naadam, le plus grand festival de Mongolie, met en valeur le tir à l’arc comme l’un des “trois jeux virils” avec la lutte et la course de chevaux. À cette occasion, les archers, hommes, femmes et enfants, revêtent leurs costumes traditionnels et concourent dans trois catégories principales : Khalh, Buriad et Uriankhai, chacune avec des caractéristiques distinctes pour les arcs et les flèches ainsi que pour les distances des cibles. Les distances de tir varient de 60 mètres pour les femmes à 75 mètres pour les hommes, tandis que les enfants ajustent leur distance de tir selon leur âge.
Dans la région du Gobi, les archers tirent droit, nécessitant des arcs plus puissants pour atteindre leur cible avec précision. À l’inverse, dans la région du Khangai, les arcs plus légers permettent aux archers de tirer en cloche, exploitant la force de gravité pour atteindre leur cible avec précision.
Les Cibles et le Chant de Victoire “Uukhai”
Les compétitions de tir à l’arc mongol au Naadam comportent deux types de cibles : le “khanan” et le “khasaa”. Chaque archer tire 20 flèches sur chaque cible, et les spectateurs accompagnent les réussites d’un chant de célébration appelé “Uukhai”. Ce chant est une symphonie qui félicite la précision et la puissance des archers. Il existe trois types de “Uukhai” : pour inviter, pour célébrer un tir réussi, et pour accueillir l’archer après son tir.
L’Uukhai ne célèbre pas seulement la victoire de l’archer, mais rend hommage aux compétences et à la force qui incarnent l’esprit du tir à l’arc mongol. C’est un chant de fierté et de reconnaissance pour ceux qui maîtrisent cet art.
La Maîtrise et les Titres d’Honneur
Les meilleurs archers du Naadam reçoivent le prestigieux titre de “Ulsiin mergen”, ou Grand Archer National, un honneur qui reflète l’habileté, la force et la précision de l’archer. Ce titre est attribué à travers six grades de maîtrise, permettant ainsi aux archers les plus talentueux de se distinguer. C’est un symbole de fierté nationale et de respect pour les traditions.
L’Héritage du Tir à l’Arc Mongol : Un Art Perpétué
Aujourd’hui, les traditions du tir à l’arc mongol sont soigneusement préservées et transmises à travers les générations. En plus d’être un sport et une compétence militaire, le tir à l’arc est devenu un art symbolique de l’identité mongole. L’inscription de la pierre de Chinggis reste un témoignage précieux de la fierté et de l’habileté des archers mongols, et elle incarne la puissance culturelle qui a marqué l’histoire mongole.
Les visiteurs en Mongolie peuvent découvrir cet héritage en assistant à des compétitions de tir à l’arc, en rencontrant des artisans qui fabriquent des arcs et des flèches selon les méthodes traditionnelles, ou en tentant eux-mêmes l’expérience du tir à l’arc. L’arc mongol, avec sa forme caractéristique et sa puissance de tir, est bien plus qu’un simple instrument de guerre ou de chasse : c’est un symbole de la résilience et de la maîtrise d’un peuple ancré dans ses traditions.
En somme, le tir à l’arc en Mongolie représente bien plus qu’une discipline sportive ; c’est une véritable expression de l’âme et de l’histoire mongole, perpétuée de génération en génération, pour honorer un héritage qui, même aujourd’hui, résonne avec fierté dans les vastes steppes de Mongolie.